Pierre Fisher :  Codes-barres cardiaques 

Peut-on imaginer une peinture abstraite qui fonctionnerait comme la musique techno ? La froideur martiale du rythme peut devenir un détonateur d’ivresse corporelle, pendant des raves réunissant milieu naturel et plaisirs artificiels. Employant le bois industriel, Pierre Fisher, qui a exposé au Salon de Montrouge en 2010, pratique une abstraction « cosmique » ancrée dans la vitalité de la street culture. Il participe à la résidence d’Yves de La Tour d’Auvergne pour une exposition cet été à Sainte-Alvère (Dordogne)

Il est couramment admis que l’art conceptuel se place en réaction au romantisme de l’artiste héroïque, refusant l’expression narcissique des abîmes de l’intériorité. Pourtant, certains curateurs des années 2000 ont remis en question cette opposition simpliste, à l’exemple de Jörg Heiser avec son exposition « Romantic Conceptualism » en 2007 à la Kunsthalle de Nuremberg. Selon lui, certaines explorations linguistiques de l’art conceptuel touchent à des formes obsessionnelles quasi-mystiques (même si contrariées), où il ne manque ni le désir ni la mélancolie, mettant en évidence l’artifice d’une séparation entre l’introspection romantique et la rationalité froide. L’une des figures clés de cette réflexion était l’artiste néerlandais Bas Jan Ader : pour une série photo de 1971, il s’est allongé sur une route de campagne essayant de former une composition géométrique avec son corps (inspirée de De Stijl), tout en évoquant une mort par accident. C’était l’œuvre clé de l’exposition « Le Syndrome de Broadway », au centre d’art Parc Saint Léger, à Pougues-les-Eaux (Nièvre), en 2007, organisée par le Commissariat, un collectif d’artistes-curateurs proche de l’artiste Pierre Fisher – il formait d’ailleurs United Artists (avec Vincent Ganivet entre autres) qui prônait la reprise en main de la production et de l’exposition par les artistes eux-mêmes. « Pour nos projets, il était question de formes spectaculaires mais en basse définition, des mises en tension avec des effets spéciaux low tech, se souvient-il, Pauvres et prétentieux, mais plutôt dans la fragilité du geste que dans la trouvaille érudite. L’énergie déployée était visible, nous ne voulions pas faire des œuvres avec Google, ces démarches-là nous donnaient l’impression que la vie était finie ». 

Dès ses premiers assemblages d’objets à la Villa Arson à Nice, il y a une désinvolture facétieuse, une rapidité du geste qui n’est pas sans rappeler sa fréquentation assidue des skateparks et son background artistique familial (sa grand-mère avait une galerie Op art à Londres, sa mère fréquentait Raymond Hains au café La Palette). Des balles de ping-pong deviennent une structure moléculaire, tandis qu’une boule de pétanque sera mise en tension façon lance-pierres avec un écran « auto promotionnel » où est écrit Gold (un simple logo de marque de bière, en réalité). Mais ce sera paradoxalement dans l’abstraction que son travail s’épanouira : ses premières boîtes, aux vis apparentes, sont réalisées en employant une palette flamboyante de bois industriels (aggloméré, antidérapant, mélaminé, hydrofuge, ignifuge). « J’avais mon atelier au milieu d’une forêt que je traversais tous les jours.”

Ma pratique du bois industriel est une dernière étape de transformation pour le sauver : en remixant différentes qualités de fibres chimiques, je m’approprie la marqueterie classique. En y intégrant des guirlandes lumineuses, j’introduis une sorte de cardiogramme, de pulsation vitale », résume-t-il. Une énergie artisanale, laissant visibles imperfections et cicatrices, venant contrarier la rigueur minimale, comprenant l’introduction d’éléments issus d’une culture street : des badges, un parapluie tenant un volume en équilibre chaplinesque, un caleçon qui a atterri sur la sculpture, une colonne devenue totem tribal avec tissu léopard et sound system. Progressivement, il traduira son langage en peinture, à l’image d’Alpha Beat Box, un abécédaire de rythmes visuels proches de la mécanisation robotique de la techno. Cette musique binaire et martiale est pourtant organique – un puissant déclencheur de sensations physiques, lui évoquant sa fréquentation de rave parties en pleine forêt. Car il y a chez Pierre Fisher une pulsation cardiaque dans ses toiles géométriques, proche de la transe : « Si les toiles sont devenues autonomes, c’est que je souhaite explorer des sens que je ne connais pas encore, aller là où les mots ne peuvent pas aller, sans que les peintures aient à devoir se justifier. Je dirais qu’il y a une dimension cosmique, au sens où les formes géométriques jouent un rôle dans la structure et la compréhension de l’univers. Je suis attaché à des formes de subjectivation de la réalité – mon abstraction est émotionnelle », conclut-il.

PEDRO MORAIS
2016





Anne de Villepoix est heureuse de vous présenter l’exposition de Pierre Fisher dont la première exposition personnelle a eu lieu à la galerie Lara Vincy. Pierre Fisher est un sculpteur diplômé de la Villa Arson, ayant exposé au 55ème salon de Montrouge, puis à l’édition 2012 de la foire Young International Artist.

Les premiers travaux de Pierre Fisher sondent la mythologie de sa propre enfance, imprégnée de coutumes locales et de pop culture vintage– deux éléments qu’il élève à un statut totémique. Son atelier à Senonches est une terre d’accueil pour objets perdus, jetés, abandonnés, sans valeur apparente : balles de Ping pong, vieux chewing-gums et figurines d’oeufs en chocolat deviennent les ambassadeurs de son folklore urbain intime.
Là, il érige des édifices insolents, où ces readymades improbables règnent en souverains ; ces derniers deviennent les figures de proue d’exercices d’équilibre à la fois vertigineux et précaires. A travers ce jeu d’accumulation et d’amalgame, Pierre Fisher semble nous mettre en garde contre la culture frénétique mais vacillante qui nous entoure.
Son travail actuel relève d’une sensibilité à la fois instinctive et anthropologique et semble s’engager pour un Arte Povera Post-Moderne.
Son exposition nommée : « // », un geste radical qui évoque une parfaite parallèle que l’on retrouve sur les symboles d’Euro, Dollar et Yen, pour suggérer une stabilité sans faille – c’est cette sérénité même que Pierre choisit de fourvoyer en chamboulant le rythme de vie de la société de consommation, orchestrée par la production, acquisition et évacuation de masse. Car c’est précisément à l’autre bout de cette chaine alimentaire que Pierre Fisher se positionne : si le bois est son medium de prédilection, ce n’est jamais l’élément naturel avec lequel il travaille, mais plutôt avec des planches commandées en contreplaqué, reconstituées, ou encore de l’imitation. Si Fishly & Weiss - une influence souche dans l’univers de l’artiste - apprivoisait la nature, Pierre Fisher, lui, dompte l’âge post-industriel.
L’artiste s’inspire de la technique de marqueterie classique – un contraste quelque peu brusque, au médium fonctionnel —, il choisit plutôt de morceler et structurer le bois dans une logique d’abstraction géométrique, pour une illusion d’équilibre marquée d’un dérapage imprévu, spontané.
Les irrégularités, imperfections, cicatrices signent chaque oeuvre. Ce sont des éléments que Pierre chérie, car elles sont les témoins de sa victoire contre la machine, David contre un Goliath usinier. Si ces premiers sculptures laissaient les vis apparentes, il préfère les masquer dans ces nouvelles pièces, laissant un envers du décor intempestif, à qui ose retourner le tableau -- cet effet illusoire, de trompe l'oeil assumé est caractéristique du travail de marqueterie mais aussi de l'identité du travail de Pierre Fisher, en perpétuelle quête de la marque de l’artisan dans une société délocalisée.

Alice Pfeiffer
2012

Né en 1983, diplômé de la Villa Arson à Nice, Pierre Fisher développe très tôt un travail polymorphe dans lequel on peut distinguer trois familles : d’abord, des objets produits « sérendipitemment » (trouvailles heureuses, découvertes inattendues, flirts entre matériaux,...) ; puis des projets liés à la curiosité pour les détails et les mystères locaux (objets fabriqués, bricolés par leurs propriétaires, légendes, fascination pour un univers pop-comics décalé...), enfin, des sculptures qui se présentent comme des déclinaisons industrielles à partir d’un matériau de base : le bois.

Ce sont ces derniers travaux qui sont au cœur de l’exposition 28250 Senonches. Ce titre fait référence au lieu dans lequel travaille l’artiste depuis le 15 décembre 2010 : une maison dans cette petite ville de la forêt du Perche, Senonches. Il y découpe et assemble différentes fibres de bois que l’on trouve chez les grossistes : Ignifuge OSB, mélaminé, mélaminé faux lino, mélaminé faux bois, Hydrofuge OSB... Cette forêt qui l’entoure, la voici désormais dans ses œuvres, recomposée, passée par la case industrie.

Bricolages insolites, témoignages d’une énergie artisanale à partir d’éléments industriels détournés de leur fonction, les différentes sortes de bois deviennent des volumes, des formes, des motifs, vite construits. Les traces de la réalisation ne sont pas masquées : chaque geste, chaque opération est perceptible. Pierre Fisher vit isolé, en forêt, mais il vit dans son époque, il ne coupe pas du bois, on le lui livre aggloméré, contreplaqué, en particules orientées. De ce petit village émergent des formes simples, « à l’américaine » comme il dit, monolithes, piliers, tubes, blocsfuturistes ou bricolés. De temps à autre, un élément vient perturber ou agrémenter la forme, c’est selon : du son, des guirlandes lumineuses, des accessoires kitsch,...
Ces artifices bricolés, en évolution constante, brouillent les pistes. Aucune velléité minimaliste, aucun culte du fini, juste du brut, du flirt, du test, du bricolage, à l’infini. Une réintroduction de l’artisanat, de l’échelle humaine, à la fin de la chaine industrielle. Un retour à la case départ : la forêt. Ces totems ne forment-ils pas ensemble d’ailleurs une forêt, industrielle, artificielle ? Ou bien est-ce la maquette d’une cité fantastique dans laquelle quelque super héros aurait pitié des âmes innocentes ? Depuis cette campagne reculée et isolée, Pierre Fisher semble parler de la ville, de son temps, il joue sur le rythme, la palpitation, il témoigne de ce nouveau sort fait au bois local par besoin de construction effréné dans les mégapoles lointaines : c’est le paradoxe du jeune sculpteur de Senonches.



Jean-Marie Gallais
2012



Pierre Fisher (FR, 1983) profited a summer residency at Komplot during August 2011 He spent a month producing in Komplot's working space, opening on September the 9th a show on our project room: Sterling OSB.

La pratique sculpturale de Pierre Fisher (né en 1983) se comprend comme la conséquence de deux processus divergents bien que compatibles. Ses premières réalisations sont issues de rencontres fortuites avec un ou plusieurs objets auxquels sont venus se greffer des idées, générant de curieuses élaborations. Cette pratique n’étant fondée que sur le principe du « flirt », n’a par principe, pas de suites possibles en soi : il en résulte des sculptures autonomes faites d’objets trouvés, rassemblés, de constructions absurdes, dont l’apparente fonctionnalité ne révèle rien moins que des tentatives vaines d’établir des systèmes cohérents (tentative de défier la gravité, mise en tension, recherche d’équilibre).
Récemment son travail s’est davantage orienté vers une approche étroitement liée au matériau utilisé, et fondée sur un principe de déduction : du matériau choisi et employé, découlera le fond et la forme de la sculpture réalisée. Ses dernières constructions, aussi bien murale que spatiale, empreintent au minimalisme d’un John McCraken et à l’abstraction géométrico-formaliste d’un Franck Stella, un vocabulaire de base lui permettant de mettre en forme sa pratique déductive de la sculpture. Ayant actuellement pour matériau de prédilection le bois, un de ceux traditionnellement dévolus à ce medium, Pierre Fisher montre plus d’intérêt pour la version industrielle de ce dernier, le mélaminé, l’aggloméré, ces grandes planches standardisées que l’on obtient à la coupe, au sein d’énormes entrepôts de menuiserie. Une fois ce bois recherché et acquis, il observe ses particularités et cherche le ou les éléments lui permettant de trouver un point de départ, un détail inhérent au matériau, voir même extra-matériel, dont le processus créatif sera déduit. En attestent Closed box et Open box (2011), sculptures réalisées à l’occasion de sa résidence estivale à Komplot, prenant pour point de départ les lettrages imprimés sur le bois récupéré. Ceux-ci révélant la marque et le slogan du produit - « Sterling OSB - The Original and Best of OSB » -, sont réalisés par une typographie italique dont les diagonales deviennent la base formelle des sculptures. Isolées les unes des autres, chaque partie de bois contenant un mot du slogan, alterne avec une autre de bois sombre, découpée en diagonale, procurant un élan dynamique à l’ensemble. Tout comme ce slogan, le « $ » de Money (2011) établit un rapport métonymique avec son processus de création. Isolé du reste d’un livre trouvé dans la rue, le « $ » devient l’élément d’attention, lui-même étant un slogan bien spécifique, pouvant se faire le promoteur d’une idéologie bien connue.
De cette pratique déductive découle une absence totale d’illusion au sein de créations qui ne mentent pas. Chaque étape du travail est subtilement mise à nu et lisible, permettant au spectateur de reproduire à rebours tous le processus créatif : il est ainsi possible de reconstituer les planches de bois, d’apercevoir la structure de chaque parallélépipède rectangle, jusqu’à apercevoir les traces de l’étau ayant tenu le bois sur différents endroits de l’établi, lors de la découpe. Reproduites à l’échelle du mur de l’espace d’exposition, ces traces s’articulent en une peinture murale abstraite Bubble boxes (2011). Maculant ainsi le stérile et normé « White cube » de son Wall painting, Pierre Fisher nous rappelle le contexte, le déroulement et les conditions économiques du travail de l’artiste, au sein d’un espace qui tend habituellement à éclipser ces réalités.
Il serait cependant réducteur et erroné de considérer la démarche de Fisher comme purement formaliste, suivant un principe de base auquel il ne faut en aucun cas déroger. Loin de rejeter sa pratique préalable de la rencontre et du « flirt », celle-ci réapparait dans la neutralité formelle, et perturbe la lecture de l’œuvre par l’intégration d’objets trouvés et familiers. Ces derniers confèrent aux sculptures un aspect subjectif et décalé, ouvert sur l’extérieur, empêchant tout cloisonnement catégoriel. Alors que les différentes parties de Closed box sont rigidement liées entre
elles par de brillantes vis dorées, Open box s’exhibe disloquée, révélant ainsi l’intérieur de sa structure qu’un néon maladroitement posé là, éclaire de son faisceau lumineux. Bien que solidement raccordée, Closed box n’est pas plus vulnérable que son pendant : celle-ci ne résiste à la gravité que par un équilibre précaire, rendu possible grâce au soutient d’un parapluie noir, dont l’arcature progressive de l’axe semble sur le point de céder. L’aspect minimaliste du processus déductif se trouve donc perturbé par une insolite mise en espace sculpturale, alliant objectivité d’un protocole rigoureux (respect des données du matériau) et subjectivité liée au contexte de création (le parapluie, apporté par l’artiste à Bruxelles ; le néon, glané dans l’atelier ; le livre trouvé dans le quartier à proximité…). En exacerbant ainsi et sciemment le tournant « théâtral » de l’art, historiquement associé au courant minimaliste, et dénoncé dès le milieu des années soixante par Michael Fried 1, Pierre Fisher s’accorde la liberté de jouer avec les codes de l’art actuel sans complexe, en proposant des œuvres semblant inabouties, à la dérive, offrant de multiples clés d’interprétation, non dénuées d’humour.

Benoît Lamy de La Chapelle
2011


Une boule de pétanque, partiellement enfoncée dans un ballon de plage jaune imprimé d’étoiles, le tout posté sur un socle vertical blanc : Hop là, version sport (2009), l’oeuvre de Pierre Fisher présentée la même année dans l’exposition Opération tonnerre à Mainsd’oeuvre, ne manquait pas de convoquer plusieurs images iconiques de l’art, comme celles du pape de M. Cattelan ou d’une voiture de J. Durham, écrasés par d’improbables météorites, ou encore celles de sculptures de C. Brancusi des années 1920, par résonance avec le principe du « socle sur le socle » ou avec la simplicité géométrique des éléments et leurs contrastes de matières. Toutefois, sous des atours triviaux et drolatiques, entre détournement post-moderne et jeu de camping qui a mal tourné, cette association readymade déclenche chez le regardeur un étonnant mécanisme d’empathie vis-à-vis de l’action conjuguée du poids de l’acier et de l’élasticité de la mousse ; une tension, plastique et perceptive, similaire au principe de « tensegrity» formulé par B. Fuller à propos des sculptures de K. Snelson. Cette tension spécifique, on la retrouve dans un étonnant « relief » de Fisher intitulé Hop là, version sophistiquée (2009). Une boule de pétanque est cette fois maintenue entre un support mural de télévision et un plateau en métal, ceci à l’aide d’un arsenal de cordes, de mousquetons et de tasseaux de bois. Dans cette installation, qui n’est pas sans faire écho à la laitue fraîche coincée entre les deux blocs de granit de G. Anselmo, la démesure des moyens laisse penser que la sphère d’acier est dotée d’une puissance cinétique bien trop dévastatrice pour être laissée sans entraves. Car Fisher récuse l’attitude puriste. Son sens du spectaculaire s’appuie sur des petits trucages (par exemple un câble invisible relie la sphère d’acier au socle en bois et permet de compresser le ballon) et le rapproche d’un R. Bladen écarté du courant minimal historique pour ses méthodes alors considérées comme « illusionnistes » - en réalité de simples jeux de contrepoids afin que ses sculptures parussent défier la gravité. La thèse écrite par R. Morris ne portait pas sur Brancusi par hasard et, chez Fisher, comme chez l’artiste américain, le jeu sur le socle mène, naturellement, à l’éviction dudit socle. C’est le cas de la colonne horizontale de Box # 1 (2009) ou des trois cubes Box # 2 (2010), qui trouvent leur place au sol.  Construits en mélaminé bon marché commandé aux quatre coins du globe, ces volumes conjuguent avec moult fautes volontaires, la gelstat de Morris, la polychromie de D.Judd la marquetterie tridimensionnelle en faux bois de R.Artschwager, le tout régi par des variations ou des permutations modulaires et systématiques héritées de M. Bill ou de P. Moegensen. il est ainsi logique que Fisher, interrogé sur cette question du système, dise vouloir considérer chaque projet d'oeuvre comme un prétexte, une matrice cachée des véritables réalisations, précisément sur le modèle du "Mac Guffin", cet objet mystèrieux défini par Hitchcock en 1939 comme l'élément moteur de tout scénario.  

Matthieu Poirier
2010




Pierre Fisher affiche un goût palpable pour une forme de spectaculaire bricolé, tirant des propriétés physiques de ses matériaux ludiques (moelleux d’un ballon en mousse contre poids et densité d’une boule de pétanque, comme dans Hop là – Sport, 2009) un burlesque qui peut le rapprocher de Fischli et Weiss ou de Roman Signer. Ses objets et sculptures mettent en scène des jeux de forces et d’équilibre au moyen de trucages astucieux, où il s’amuse du doute planant sur leur réelle stabilité. Cette volonté est manifeste, sur un mode néanmoins plus modeste, dans le drolatique Superman (2010), cadre contenant un pansement « Superman » tentant de façon surhumaine de raccorder deux morceaux de carton gris ensemble.
Sa proposition pour l’exposition « Relatives », intitulée Tête de loup, participe de ce même mouvement, à la différence près que l’objet n’est pas une création de Pierre Fisher, mais celle d’un employé d’une église où l’objet fut découvert. Il en propose ici une reproduction fidèle. L’objet domestique, impressionnant par sa taille (près de cinq mètres) et étonnant par sa forme singulière (une tête de loup prolongée par un tube de pvc lui-même fixé à une tige de bambou), répond donc à un souci d’efficacité et d’adaptation à des hauteurs ne permettant guère l’usage d’outils traditionnels.
Plus tôt, en 2009, le Verdure Tour (co-réalisé avec Justin Meekel) se présentait comme une recherche et une possible actualisation des contes, légendes et autres énigmes que recensait le Guide de la France mystérieuse écrit par René Alleau en 1966. De cet intérêt croisé pour les méthodes de l’investigation et pour le folklore contemporain sont nés neuf livrets diffusés tout au long de leur parcours, à l’aide d’une voiture, transformée pour l’occasion en imprimerie. Cette expérience, on le voit, n’est pas anecdotique dans sa démarche consistant à reproduire un objet découvert au hasard d’une visite dans une église. Avec Tête de loup, Pierre Fisher poursuit cette recherche sculpturale d’un équilibre des formes et d’une mise en tension des matériaux, recherche qu’il double désormais d’une investigation sur les productions d’objets à la fonctionnalité, certes réduite, mais toujours empreints d’une certaine poésie. Dans une forme et une intention étrangement connexes à ses sculptures, l’objet trouve, dans la villa, une autre raison d’exister hors de sa sphère d’apparition. À la différence des New Hoovers de Jeff Koons (1981-1987), prisonniers de leurs caissons en plexiglas, la présentation de la Tête de loup suggère, sans doute, et avec humour, une utilisation immédiate, le faste ayant peut-être déserté la demeure depuis quelques temps déjà. 

Matthieu Loctin

2010




Un projet itinérant de Pierre Fisher et Justin Meekel effectué à travers la France du 8 juillet au 13 août 2009 grâce au soutien de STartE. 
« Suite à la trouvaille du Guide de la France mystérieuseécrit en 1966 par René Alleau, nous partons plus d’un mois sur les routes de France dans l’espoir de débusquer de nouveaux mystères. Les rencontres et découvertes satisfaisantes sont ensuite formalisées dans des livrets édités et distribués tout au long de notre parcours grâce à une Peugeot 205 aménagée en mini-imprimerie.» C’est en ces termes que se définit elle-même une performance estivale ayant donc consisté, pour deux jeunes artistes, à partir sur les traces d’un guide pour en quelque sorte le rafraîchir. Mais si le mystère initial masquait ses icohérences sous l’autorité d’un aréopage de chercheurs au CNRS et autres instituts respectables, son renouvellement tient aux procédures délibérément légères de qui associe la logistique minimale à la dérive nécessaire…
En cet été 2009, Pierre Fisher et Justin Meekel ont ainsi effectué un périple dont la cartographie évoque celle du Tour de France cycliste faite d’une succession d’étapes ralliant à chaque fois deux cités. Ils partent armés d’une recension de mystères pour constater que leur teneur s’est estompée dans la mémoire des contrées traversées. Chemin faisant, de Bézu-la-Forêt à Obermodern-Zutzendorf, ils collectent, en enquêteurs de tout et rien, des faits prosaïques et de nouveaux mystères. Leur performance, qui n’a rien d’extraordinaire (qui aspire d’ailleurs plutôt à l’ordinaire), tient d’abord de la rencontre ainsi que de la fabrication en continu d’une édition (les huit livrets édités du 8 juillet au 13 août) qui leur permettra, par le jeu du don/contre-don, de favoriser l’échange avec les personnes rencontrées. Loin de la rigueur scientifique dont pouvait se réclamer leur prédécesseur René Alleau, ils s’éloignent aussi du systématisme de certains des « artistes-ethnologues » (tels que Jeremy Deller & Alan Kane) qui ont pu les inspirer. Ils n’en conduisent pas moins leur incursion en ruralité avec le plus grand sérieux selon une heuristique de la dérive dont le précepte clé pourrait être : « l’occasion fait le larron ».
Leurs fascicules associent de courts textes qu’ils font ou qu’ils trouvent à des photos qu’ils font ou qu’ils trouvent également. On y retrouve d’abord, comme gage du sérieux moqueur de leur démarche, des extraits de l’ouvrage qu’ils revisitent. Ceux-ci ne manquent pas de saveur, ils expliquent par l’anecdote l’origine des alignements de menhirs ou les ravages causés par divers monstres chimériques. C’est souvent un curé local qui est réputé avoir triomphé de leurs maux légendaires. Mais si ces légendes et ces triomphes miraculeux ont disparu de la mémoire collective, c’est que les puissances intemporelles ont été entre-temps confrontées à la désertification rurale et à une décrépitude de la ferveur religieuse.

Alors il y a lieu d’aller rechercher dans d’autres événements et dans d’autres prosaïsmes locaux le sel de nouvelles aventures, le mystère de nouvelles légendes éphémères, la morale d’autres ravages. Ainsi, les affiches de la fille de la patronne du Rendez-vous des chasseurs, à Plourin, prodiguent- elles leurs maximes désenchantées : « Les mecs c’est comme les chiottes, c’est toujours

occupé », « Si on n’est pas prêt à tout, on n’est prêt à rien ». Ainsi, apprend-on qu’un matin, les rues de Ploudalmézeau furent jonchées de lettres déchirées. Le « déchireur fou » s’était introduit la nuit dans les locaux d’une compagnie d’assurance pour y dérober l’ensemble du courrier et le répandre dans le bourg. Des images, empruntées aux locaux ou à la presse locale accréditent cette étrange performance. La nuit du grand gel de l’hiver 1956, les canards de l’étang de Balarucle- Vieux virent leurs pattes coincées dans la glace. Le lendemain, un Balarucois muni d’une

faux s’empara de ces canards glacés, abandonnant les pattes à l’étang. Les anecdotes relatées par nos deux jeunes artistes ont souvent la poésie factuelle de brèves à la Fénéon. Ils les recueillent au gré des rencontres sans souci d’actualité et les donnent à lire avec sobriété. Ils y mêlent parfois quelque événement qu’ils vivent à l’occasion de leur parcours. L’orage « sans précédent » qu’ils subirent le 22 juillet 2009, raconté au passé simple, se voit doté de la même dimension historique que la nuit des canards gelés. En un réjouissant principe d’équivalence généralisée, une photo de leur véhicule-imprimerie vaut pour celle d’un menhir ou d’une collection de théières. Un fait peut-être important pour certains, divers documents ou la seule narration pourront en transmettre la légende durant quelques années. Indirectement, Justin Meekel et Pierre Fisher montrent bien le caractère partiel et partial opéré par l’Histoire. Ils en jouent très librement en faisant de la moindre singularité rencontrée un possible mystère pour leur besace. Un mur de Plourin est strié de bandes vertes qu’un Buren local a un jour produites.

Leurs choix éditoriaux réservent au lecteur de belles associations. Une photo est sobrement légendée pour ce qu’elle montre : « Piquet à l’abandon ». Le bout de bois flashé et photocopié en noir et blanc trône en vis-à-vis de la légende de la pierre qui s’écroule sur ceux qui cherchent le trésor de Bézu-la-Forêt. Le plus souvent, leur ironie se borne à revenir au prosaïque, le chargeant de mystère ou pas. Qu’un bureau de poste reste ouverte à midi alors qu’elle a été provisoirement désertée par ses agents, cela tient des deux catégories. La photo d’un panneau « local commercial à construire » lapidé à coups de pierre ou encore celle d’un panneau « interdit aux nomades » font leur place à la simplicité univoque de certains faits locaux. Plusieurs facteurs cheval ou collectionneurs d’objets divers figurent aussi parmi les trouvailles des deux artistes enquêteurs. Ce sont souvent ces personnes qui ont servi d’indicateurs de zones à mystère ou qui ont permis la reproduction de leurs propres archive.

Cédric Schönwald 
2009




Avec « menthol hospital » le drapeau noir a cédé le pas à un vert flashy, ce n'est pas le grand soir ni les matins blêmes, une zone plus grise, un goûter anachronique. Avec des malabars, des petits cochons, des machines de guerre improbables, le champ de l'art se double d'un champ de bataille où les forces qui agitent le monde affleurent dans toute leur ambiguïté. 

Robert

2009